mardi 8 juin 2010

La Méprise

Vladimir NABOKOV - "La Méprise", 1936

J'avais commencé à écrire mes quelques lignes sur ce livre, mais Nabokov le fait beaucoup trop bien dans sa préface. C'est un paragraphe que j'ai relu plein de fois et qui a fait son effet à chaque fois (j'adore !) :
« "La méprise", dans un esprit de parenté absolu avec le reste de mes livres, n'a aucun commentaire social à faire, ni aucun message à accrocher entre ses dents. Ce livre n'exalte pas l'organe spirituel de l'homme et n'indique pas à l'humanité quelle est la porte de sortie. Il contient bien moins d' « idées » que tous ces plantureux et vulgaires romans que l'on acclame si hystériquement dans la petite allée des rumeurs entre les balivernes et les huées. L'objet aux contours attractifs ou bien le rêve d'un Wienerschnitzel que le freudien pressé croit pouvoir débusquer dans mes rebuts lointains, vont se révéler, après un examen plus approfondi, un mirage ridicule organisé par mes agents »
Et plus tard dans le chapitre IX....
« En imagination, je vois un monde neuf où tous les hommes se ressembleront comme se ressemblaient Hermann et Félix ; un monde de Hélix et de Fermann, un monde où l'ouvrier tombé mort devant son établi sera aussitôt remplacé par son double parfait, souriant le sourire serein du parfait socialisme. C'est pourquoi je pense que la jeunesse soviétique d'aujourd'hui tirerait un profit considérable d'une étude de mon livre, sous la surveillance d'un marxiste expérimenté qui aiderait les jeunes gens à suivre à travers ses pages les méandres rudimentaires du message social qu'il contient. Mais oui, et que d'autres nations, elles aussi, le traduisent dans leurs langages respectifs, de sorte que les Américains puissent satisfaire leur besoin de magie sanglante ; les Français discerner des mirages de sodomie dans ma prédilection pour un vagabond ; et les Allemands savourer le côté ombrageux d'une âme à demi slave. Lisez, lisez-le, aussi nombreux que possible, mesdames et messieurs ! Je vous accueille tous mes lecteurs. »